Pourquoi les chefs tiennent leur couteau différemment (et vous devriez aussi)

J’ai observé des milliers de gestes. Certains spectaculaires, d’autres presque invisibles. Parmi eux, un détail revient sans cesse et sépare immédiatement l’amateur du professionnel : la manière de tenir son couteau. Un geste simple en apparence, mais fondamental.

Et si les chefs tiennent leur couteau différemment, ce n’est ni par snobisme, ni par tradition figée. C’est par nécessité, efficacité… et respect du produit.

Une prise qui change tout

Dans la majorité des foyers, on tient son couteau comme un stylo ou un manche de casserole : toute la main refermée sur le manche. C’est instinctif. Pourtant, dans les cuisines professionnelles, cette prise est presque absente. Les chefs utilisent ce que l’on appelle la prise “pincée” (pinch grip en anglais).

Le pouce et l’index viennent se poser directement sur la lame, juste devant le manche, tandis que les autres doigts enserrent ce dernier.

Ce contact direct avec la lame peut surprendre, voire inquiéter. Pourtant, il est précisément ce qui donne contrôle, précision et stabilité.

Le contrôle avant la force

Contrairement à une idée reçue, la découpe ne repose pas sur la force mais sur la maîtrise. En tenant la lame, le chef guide le couteau comme une extension de sa main. Résultat : des gestes plus fluides, des coupes nettes, régulières, sans écraser les fibres.

J’ai vu des chefs étoilés ciseler une échalote en silence, presque sans regarder, avec une précision chirurgicale. Leur secret ?

Cette prise qui permet de sentir la lame travailler, d’ajuster instantanément l’angle ou la pression. La main commande, le couteau obéit.

Respecter le produit, jusque dans le geste

En haute gastronomie, le respect du produit est une valeur cardinale. Un poisson mal découpé perd sa texture. Une herbe mal ciselée s’oxyde plus vite. Une viande mal tranchée se durcit à la cuisson.

Tenir son couteau correctement permet une coupe franche, sans déchirure. Cela préserve les sucs, les arômes, la structure. C’est un geste de respect autant que de technique.
Dans les cuisines que j’ai fréquentées, on apprend très tôt que mal couper, c’est déjà mal cuisiner.

Moins de fatigue, plus d’endurance

Autre avantage rarement évoqué : l’ergonomie. Les chefs passent des heures à découper, émincer, lever des filets. Une mauvaise prise fatigue le poignet, crispe l’avant-bras et augmente le risque de tendinites.

La prise pincée répartit l’effort sur l’ensemble de la main et du bras. Elle permet un mouvement plus naturel, plus souple. Ce n’est pas un détail quand on coupe des kilos de légumes chaque jour.
À la maison aussi, cette posture réduit la fatigue et rend la découpe plus agréable.

La sécurité, paradoxalement

Beaucoup de cuisiniers amateurs craignent cette prise par peur de se couper. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : un couteau bien tenu est un couteau plus sûr.

Pourquoi ? Parce que la lame est mieux contrôlée. Les mouvements sont plus courts, plus précis. Le couteau ne glisse pas. La main directrice ne force pas.
Dans les cuisines professionnelles, où le rythme est intense, cette prise est aussi une question de sécurité collective.

Apprendre à changer ses habitudes

Adopter la prise des chefs demande un peu de pratique. Les premiers jours, le geste peut sembler inconfortable. C’est normal. Comme tout apprentissage corporel, il faut du temps pour que la main s’habitue.

Mon conseil, glané auprès de nombreux chefs : commencez lentement, sur des produits simples (carottes, courgettes). Concentrez-vous sur la posture, pas sur la vitesse. La rapidité viendra naturellement avec la précision.

Un marqueur discret de savoir-faire

Dans les cuisines que j’ai visitées, il suffit souvent d’un regard pour savoir si quelqu’un “sait”. La façon de tenir un couteau est l’un de ces marqueurs silencieux, presque intimes, du savoir-faire culinaire.

Ce n’est pas une question de niveau ou de prétention, mais d’attention portée au geste. En adoptant cette prise, vous ne jouez pas au chef. Vous cuisinez simplement mieux.

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Emma Delaunay

Emma Delaunay

Journaliste gastronomique depuis 12 ans, Emma a sillonné les cuisines des plus grandes tables françaises. Passionnée par l'art culinaire et les produits du terroir, elle décrypte les secrets de la haute gastronomie et les rend accessibles à tous. Après plusieurs années dans la presse food, elle partage aujourd'hui ses découvertes et coups de cœur sur Le Restaurant.

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